Les Midterms révèlent que la politique est entrée dans les entreprises américaines, mais en France aussi et ça crée de sérieux problèmes

Joe Biden lors d’un meeting aux Etats-Unis.

Joe Biden lors d'un meeting aux Etats-Unis.

©ANGELA WEISS / AFP

Atlantico Business

Entre la guerre en Ukraine, la crise écologique et les questions sociétales, l’actualité a poussé la politique dans l’entreprise et ça pose de sacrés et nouveaux problèmes aux chefs d’entreprise. Les patrons français ne sont pas les plus à l’aise.

Depuis précisément la crise du Covid, qui a bouleversé l’organisation du travail et imposé des conditions sanitaires draconiennes, mais encore plus depuis la guerre en Ukraine, les effets des sanctions, l’explosion inflationniste, les questions politiques sont entrées massivement dans les entreprises. Au bureau comme dans les ateliers, et pas seulement à la machine à café.

Aux Etats-Unis, les questions sociétales, les rapports entre les hommes et les femmes n’ont jamais été absents de la vie de l’entreprise. Depuis très longtemps, ces questions font partie de la vie au travail et pèsent sur l’organisation interne. Ces questions sont généralement du ressort des services de relations humaines.

Depuis l’arrivée de Donald Trump, les questions se sont durcies et elles se sont même élargies aux questions politiques et partisanes. L’arrivée des démocrates avec Joe Biden n’a pas calmé le jeu et la campagne pour les Midtems vient de révéler que près de 25% des salariés dans les entreprises disent avoir été victimes d’un traitement très partial en raison de leur appartenance politique. Ces victimes seraient principalement des habitués du camp conservateur. Bref les “Trumpistes” se disent plutôt mal traités dans les entreprises. L’enquête a été réalisée par la SHRM – la Society for Human Ressource Management (l’équivalent de l’association des Directeurs de ressources humaines) auprès de 500 salariés américains au mois d’août dernier.

Cette enquête indique que le quart des salariés interrogés ont été pénalisés dans leur travail et leur carrière. Tout a joué dans leurs rapports sociaux ou professionnels. Leurs positions et leur discours tenus sur leur lieu de travail dans les domaines sociétaux et plus particulièrement tout ce qui concerne : la gestion du Covid, l’obligation vaccinale, l’IVG, mais au-delà tout ce qui concerne les allusions ou le poids du racisme, et plus largement encore, leur positionnement politique. Les républicains les plus radicalisés sont évidemment les plus ciblés.

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Les discussions sont devenues de plus en plus tendues au fur et à mesure qu’on s’est rapprochés de la date des Midterms.

Au moment de l’embauche, les dirigeants auraient tendance à hésiter à recruter un cadre qui aurait des positions tranchées, d’un côté comme de l’autre. Les candidats très conservateurs, comme les candidats très libéraux, suscitent la méfiance des employeurs.

Cette situation inquiète aujourd’hui les employeurs dans la mesure où les positions sont de plus en plus polarisées. 

Ce problème-là n’est pas spécifiquement américain. Il est aussi très français et il s’est aggravé depuis dix ans. Depuis la crise financière, avec le Covid et aujourd’hui la guerre en Ukraine, la crise climatique, l’inflation, etc. … Les problèmes sociétaux ont pénétré les lieux de travail. 

La lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre ont été prises en compte par les directions des grandes entreprises. Par éthique ou par intérêt, sous la pression des salariés, des actionnaires et surtout de leurs clients, les patrons d’entreprise ont intégré à leur stratégie la contrainte écologique, ou plus généralement les objectifs de RSE. Ça n’a pas été très simple, surtout quand le gouvernement, pour des raisons politiques, a fixé des objectifs de réduction d’émissions tellement contraignantes qu’elles se révèlent dangereuses pour l’équilibre de l’entreprise. La décision de faire muter toute la production automobile du thermique à l’électrique avant 2035 est évidemment impossible à réaliser, sauf à condamner une partie de la filière. Il faudra donc revenir en arrière et se donner des délais plus souples. Il n’empêche que de telles tergiversations n’améliorent pas la visibilité des investisseurs. Les positions climatiques sont souvent radicales, mais elles peuvent se résoudre par des compromis techniques. Chacun peut s’adapter aux faits qui sont têtus.

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Certaines questions très sociétales sont beaucoup plus radicales et encore plus idéologiques. La liberté de choisir son genre et d’en changer par exemple, la question de l’euthanasie en fin de vie, sans parler des débats strictement politiques.

La guerre en Ukraine a imposé aux entreprises de réfléchir et peut être de choisir ses partenaires, ses clients et ses fournisseurs. 

Une entreprise occidentale peut-elle prendre le risque d’avoir des partenariats avec des pays qui ne partagent pas les mêmes valeurs, doit-elle prendre le risque de travailler avec des fournisseurs ou des clients qui ne tiennent pas leurs engagements internationaux ?

Travailler avec la Russie ou la Chine qui ne respectent pas le même droit du travail, les mêmes normes de sécurité ou d’hygiène, pose déjà des problèmes techniques ou de sécurité, ce type de relation pose aussi évidemment des problèmes moraux. Mais ces pays font courir le risque des perdre son indépendance, ses investissements, ses actifs puisqu’ils peuvent, si ça les arrange, ne pas respecter les règles du droit international.

L’entreprise, le management, les salariés et les actionnaires ont le devoir de s’interroger et de prendre des positions.

Le Medef, et beaucoup d’organisations patronales, savent très bien que les entreprises doivent prendre position. La difficulté est de savoir à quel prix. Au prix de perdre des clients juteux, une rentabilité confortable et même des emplois.

Les entreprises sont aujourd’hui devant des problèmes très délicats et très importants. Parce que le pouvoir politique peut prendre à sa charge certaines décisions : celle de bloquer ou de blacklister des pays. Le droit du travail protège la liberté d’expression de tous les salariés et fixe assez clairement les limites d’exercice de ce droit du travail, en n’acceptant pas et c’est normal, de l’utiliser à des fins de prosélytisme. Pas question de faire campagne ou de militer. Cela dit, tout cela se discute et la jurisprudence existe pour accompagner la prise de décision. 

Mais la question de savoir si une entreprise peut prendre le risque de travailler en Chine, en Russie ou à Cuba est une question autrement plus lourde. Parce que ce type de décision impacte ses résultats et son avenir et concerne tous les partenaires dont le comportement revient à optimaliser pour chacun leur intérêt personnel. Le client qui cherche la qualité et le prix le plus attractif. Le salarié qui cherche à conserver son emploi et l’actionnaire qui attend un retour sur investissement.

La géopolitique nous a appris depuis quelques mois, qu’au-delà de la morale ou de l’éthique, aucune de ces conditions d’optimisation ne pouvait être garantie.

Alors, les entreprises peuvent et doivent prendre la parole dans le débat politique, elles commencent à le faire, mais elles doivent néanmoins rester à leur place et mesurer leur risque. Toutes les questions politiques sont gérables. Toutes sauf celles qui les conduiraient sur des terres où les valeurs démocratiques et le droit international ne sont pas respectées.Et ça c’est nouveau.